Les allergiques pourront-ils bientôt consommer sereinement au restaurant ?

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« J’ai exercé dans un restaurant de 1991 à 1998. Et je n’ai jamais rencontré un seul allergique ≫, raconte Sébastien Vilaça, professeur de cuisine au lycée hôtelier Daniel Brottier, à Bouguenais dans la banlieue nantaise. Mais depuis une quinzaine d’années, la clientèle a bien évolué. Les professionnels de la restauration que l’enseignant rencontre régulièrement en sont bien conscients et la tendance ne devrait pas s’inverser. ≪En 2050, 50 % de la population souffrira d’une allergie (respiratoire ou alimentaire) », prévient Pascale Couratier, présidente de l’Association française pour la prévention des allergies (Afpral). Les consommateurs changent et le restaurateur doit s’adapter. D’autant plus qu’une nouvelle législation est entrée en vigueur fin 2014.

Afficher les allergènes sur les denrées alimentaires non pré-emballées

Depuis le 13 décembre 2014 (Encadré 1), les restaurateurs doivent afficher la liste des allergènes contenus dans leurs plats. ≪On nous assomme ≫, martèle Sébastien Vilaça. ≪Pour les professionnels, cette loi est une contrainte supplémentaire », explique-t-il avant d’énumérer les différentes règlementations successivement entrées en vigueur : sécurité alimentaire des aliments et traçabilité alimentaire (règlement CE n° 178/2002 ≪food law ≫), hygiène des denrées alimentaires (règlement 852/2004), la législation concernant les unités centrales de production (règlement 853/2004 et l’arrête du 08/06/2006 sur la restauration collective). Sans compter la loi sur le compte personnel de formation, le décret du 30/11/2014 sur l’encadrement des stages dans les entreprises ou encore la législation nutritionnelle en collectivité… Et maintenant, l’affichage des allergènes pour faciliter l’information du consommateur !

Pour le professeur de cuisine, cette nouvelle règlementation impose aux professionnels de travailler différemment : il faut lister les ingrédients et établir des fiches techniques (≪outils incontournables de gestion de la production ≫, explique le cuisinier), proposer un modèle de retranscription de l’information (refonte des menus, affichage, amélioration de la communication avec la clientèle et par conséquent formation du personnel de salle) (Encadré 2). ≪Inutile d’inscrire la liste des allergènes sur le menu, nuance Pascale Couratier. La liste des ingrédients peut être simplement présentée dans un classeur dédié à disposition des clients ≫. Le travail en équipe doit aussi permettre au cuisinier de tenir informé en permanence le personnel de salle de l’évolution des recettes afin qu’il puisse transmettre une information rigoureuse au client. ≪La stabilité et la cohésion des équipes et l’expérience du personnel jouent dans la transmission de l’information aux consommateurs, explique le professeur de cuisine. Mais la mise en place sera longue ≫Pour preuve : la mention ≪fait maison ≫peine encore à prendre sa place alors que la loi est applicable depuis le 15 juillet 2014, avec pour objectif également de mieux informer le consommateur. Pire, le plan de maitrise sanitaire (PMS) pourtant formulé il y a plus de dix ans n’est toujours pas mis en place dans certaines structures.

Encadré – L’Afpral plaide pour une transmission de l’information par écrit
L’Afpral a demandé que l’information sur les allergènes soit transmise à l’écrit afin de limiter les erreurs, comme l’explique Pascale Couratier : « Par exemple, vous désirez commander des pâtes au pesto au restaurant. Vous demandez donc la composition de la sauce. La sauce traditionnelle est préparée avec des pignons de pin mais les industriels les remplacent parfois par des noix de cajou qui coûtent moins cher. En toute bonne foi, le serveur pense directement huile, basilic, pignons de pin, etc. et peut transmettre une information erronée. Alors que si l’information doit être écrite, le personnel est obligé d’étudier la composition de tous les ingrédients utilisés en amont. L’information est ainsi vérifiée. Sans compter qu’au coup de feu, dans une brasserie parisienne par exemple, le serveur n’a pas le temps de faire dix allers-retours dans les cuisines pour demander la composition des plats. Si l’information est écrite, c’est beaucoup plus simple pour tout le monde ! Dans les cantines, les enfants allergiques pourraient consommer comme les autres enfants en étudiant les menus transmis. C’est plus simple et rassurant ».

Former à l’allergie


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Combien de professionnels connaissent cette législation ? ≫, s’interroge le cuisinier. Si la plupart des grands groupes possèdent des équipes a l’affut de la réglementation et de sa mise en conformité au sein de leurs entreprises, les petites structures dans lesquelles les moyens sont plus modestes, peinent à s’organiser faute d’informations et/ou de formations actualisées. ≪Je doute que les petits établissements puissent mettre en place cette nouvelle disposition, confie le professeur de cuisine. Il faudrait orienter les professionnels vers des services de formation pour les guider ».

La directive a aussi été largement diffusée auprès des enseignants des écoles hôtelières. Elle fait désormais partie intégrante du programme de formation des cuisiniers. ≪La législation est une séquence de cours à part entière, explique Sébastien Vilaça. Je l’aborde sur plusieurs séances. Le dernier point concerne effectivement l’information des consommateurs ≫. Le professeur fournit les textes ainsi que la liste des allergènes. ≪Je les sensibilise sur le sujet et les avertis que leur clientèle sera de plus en plus touché par ce problème ≫.

La formation est d’autant plus importante que l’augmentation du nombre de réactions sévères impose de respecter scrupuleusement les règles d’hygiène et de sécurité pour éviter tout risque de contamination croisée, comme l’illustre la présidente de l’Afpral : ≪Un cuisinier pressé qui utilise la même cuillère pour deux plats et laisse involontairement une trace fait courir un grand danger à un client allergique. Il faut que les cuisiniers soient sensibilisés à l’allergie alimentaire. ≫ L’association souhaite qu’un module ≪allergie alimentaire ≫soit désormais obligatoire dans la formation. ≪Au minimum, qu’il soit fortement conseillé ≫, propose Pascale Couratier.

Une prise de conscience nécessaire

Publié au journal officiel le 19 avril, le décret relatif à la mise en application de ce règlement sur les denrées non pré-emballées, notamment au restaurant, stipule que, pour chaque plat proposé, les cantines et les restaurants devront tenir un registre écrit des allergènes présents. Et le client pourra consulter ce document, sur simple demande.≪Les restaurateurs ne semblent pas pressés d’appliquer ce règlement, avoue Sébastien Vilaça. Le respect de la loi prendra du temps. ≫Faudra-t-il sanctionner pour pousser les restaurateurs à se mettre en conformité ? Le cuisinier en doute. ≪La direction départementale de protection des populations et les services vétérinaires rattachés à cette institution ne sont pas assez présents sur le terrain, à mon goût, pour veiller à la bonne application de la législation sur l’hygiène et la sécurité alimentaire en restauration. Cette situation est certainement liée à un manque de moyens humains ≫, explique-t-il.

Pour la présidente de l’association, l’enjeu se situe à un autre niveau : ≪Adapter son régime pour une allergie alimentaire est une véritable contrainte. Ces patients ne suivent pas l’un des effets de mode que proposent certaines stars, comme avec le « sans gluten ». Une allergie peut être très violente. Elle peut provoquer un choc anaphylactique et causer la mort. Le danger est réel et les professionnels de la restauration doivent en être conscients ≫.

En attendant, rester vigilant

Les professionnels de la restauration ne sont pas les seuls concernés par cette vigilance, l’allergique reste en première ligne. À la découverte de son allergie, le patient apprend à se prendre en charge et gérer son alimentation. Par exemple, un allergique aux amandes sait que ces fruits sont fréquemment ajoutés en décoration sur un dessert glacé, il précisera donc ≪sans amande ≫. Mais d’autres produits sont moins évidents. ≪Par exemple, ce même patient souhaite déguster une tarte au citron à la boulangerie et s’informe donc de la composition, illustre Pascale Couratier. Le vendeur énumère : œufs, beure, sucre, farine, citron, etc. Mais il omet de préciser que le pâtissier ajoute de l’amande pour rendre la pâte plus croquante ≫. Un oubli non sans conséquence ! Il faut donc rester vigilant.

Sébastien Vilaca est également père d’un jeune allergique de 12 ans. Son fils cumule l’allergie aux crustacées, a l’arachide, au lait de brebis et lait de chèvre et sésame. ≪En tant que père, je suis heureux car cette nouvelle règlementation va dans le bon sens. Mais je reste inquiet. En tant que professionnel, je sais que cette réglementation sera difficile à mettre en place. Les personnes allergiques devront rester vigilantes. Au restaurant, la question se posera toujours. ≫ Pour le patient, la règle d’or reste la communication : il faut informer de son allergie, préciser les risques encourus et questionner le personnel. Certains patients demandent à voir le responsable avant même de s’asseoir pour savoir s’ils peuvent consommer dans l’établissement. ≪Cela permet d’appréhender la réaction du gérant et du personnel, de voir si la demande est prise réellement en considération ≫, explique Pascale Couratier. Pour d’autres, cette démarche est plus difficile. ≪ À l’adolescence, c’est plus compliqué, avoue-t-elle. Quand des jeunes viennent en groupe, ils n’ont pas forcément envie de le dire.≫Pour les patients les plus allergiques, Pascale Couratier déconseille les restaurants asiatiques ou indiens qui proposent des cuisines qui se servent beaucoup des allergènes de la liste : sésame, arachide… ≪ De plus, ils utilisent souvent des produits d’importation qui ne respectent pas les normes européennes d’étiquetage ≫. Dernier impératif : ne jamais oublier la trousse d’urgence et le stylo d’adrénaline afin de pouvoir agir en cas de reaction. 

Encadré – Le règlement INCO
Depuis le 13 décembre, les industries agroalimentaires, les e-commerces, les artisans et les restaurateurs doivent se conformer au règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. Voici la liste des informations qu’apporte le nouveau système d’étiquetage.
• Une meilleure lisibilité des informations (taille de police minimale pour les informations obligatoires).
• Une présentation harmonisée et plus claire des allergènes dans la liste des ingrédients pour les denrées alimentaires préemballées (mise en évidence grâce à la taille de caractères, au style ou à la couleur de fond).
• Les indications obligatoires relatives aux allergènes pour les aliments non préemballés, y compris dans les restaurants et les cafés.
• L’obligation de faire figurer certaines informations nutritionnelles sur la majorité des denrées alimentaires transformées.
• Indication obligatoire de l’origine des viandes porcine, ovine, caprine, et de volaille fraîches.
• Des exigences identiques en matière d’étiquetage pour la vente en ligne, la vente à distance et la vente en magasin.
• Une liste des nanomatériaux manufacturés figurant parmi les ingrédients.
• Les informations spécifiques concernant l’origine végétale des huiles et graisses raffinées.
• Le renforcement des règles visant à empêcher les pratiques trompeuses.
• L’indication des ingrédients de substitution pour les succédanés alimentaires.
• Les indications claires « viande reconstituée » ou « poisson reconstitué ».
• La signalisation claire des produits décongelés.  

 

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