Acides gras saturés et santé cardiovasculaire

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Ce qui caractérise l’huile de palme, c’est son fort taux d’acides gras saturés (cf. tableau), que l’on a longtemps incriminé dans l’augmentation des risques cardiovasculaires. Cette même caractéristique a beaucoup contribué au succès de
cette huile dans l’industrie agroalimentaire (voir article 2 du dossier).

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Pourtant, peu d’études se sont intéressées à l’effet direct de la consommation d’huile de palme sur la santé cardiovasculaire [1-3]. Si celles-ci suggèrent néanmoins une augmentation du risque cardiovasculaire associé à la consommation d’huile de palme en cuisson, ce type d’utilisation reste marginal dans les pays occidentaux. Ces études sont donc difficilement transposables à la situation française, et pour appréhender les effets de la consommation de cette huile, on ne peut qu’extrapoler à partir des effets des acides gras qui la composent.

Le statut des acides gras saturés évolue

« Il y a une trentaine d’années, tous les acides gras saturés (AGS) étaient considérés comme mauvais, et sans préciser la dose, souligne le Pr Philippe Legrand, directeur du laboratoire de Biochimie-Nutrition humaine à l’agrocampus-Ouest/Inra (Rennes), et le rédacteur principal du rapport de l’Anses intitulé « Actualisation des apports nutritionnels conseillés pour les acides gras » [4]. Et il est toujours long de sortir des dogmes ou de les affiner. »

Suite à une longue série de résultats contradictoires, la méta-analyse de l’équipe de Siri-Tarino [5] a pourtant remis en question cette théorie. Fondée sur 21 études de cohortes prospectives, incluant près de 350 000 personnes suivis pendant 5 à 23 ans, elle montre que, globalement, il n’existe aucune « preuve significative permettant de conclure que les graisses saturées de l’alimentation soient associées à un risque accru de maladies cardiaques ou cardiovasculaires ».

Le rapport de l’Anses préconise donc de limiter l’apport total en AGS à 12 % de l’AE [apport énergétique] ; la moyenne française se situant à près de 16 %, selon l’étude Inca2. À noter toutefois que les Français, qui consomment en moyenne plus d’AGS que les habitants des États-Unis, sont pourtant moins victimes d’accidents cardiovasculaires (145 infarctus par an pour 100 000 habitants d’âge moyen contre 315, [6]). Ce constat, plus connu sous le nom de French paradox, pourrait s’expliquer par l’effet protecteur des polyphénols (antioxydants), consommés en plus grande quantité par les habitants de l’Hexagone. Ce paradoxe souligne la nécessité de envisager l’alimentation dans sa globalité et également de ne plus considérer tous les AGS « en bloc ». C’est d’ailleurs l’une des évolutions proposées par l’Anses dans son rapport, qui note « la nécessité d’une distinction entre AGS compte tenu de leur impact très variable sur le métabolisme énergétique et sur la santé ».

Tous les AGS saturés n’ont pas les mêmes effets

« Il est maintenant bien démontré que les AGS ont des origines, des métabolismes et des fonctions différentes et que l’on ne doit surtout pas les considérer comme constituant un ensemble homogène », précise d’ailleurs le rapport de l’Anses.

Les AGS à chaîne moyenne (C6-C10) sont directement et rapidement absorbés dans la veine porte avec passage obligé dans le foie où ils peuvent être directement oxydés. « Ceci semble expliquer le rôle neutre de ces AGS à chaîne moyenne voire plutôt protecteur contre l’adiposité chez l’animal et l’Homme, commente le rapport de l’Anses. Les AGS à chaîne moyenne n’ont aucun effet hypercholestérolémiant (…). Ils ne sont pas non plus associés au risque cardiovasculaire. »

Les AGS à longue chaîne (C12-C18) quant à eux empruntent le circuit lymphatique puis la circulation générale après intégration dans les chylomicrons, « ce qui leur donne la possibilité de se déposer dans le tissu adipeux et une moindre possibilité d’être catabolisés dans le foie, détaille le rapport. Ces AGS sont tout d’abord des constituants des triglycérides de réserve et assurent à ce titre une part importante de l’apport énergétique. Ils sont également constituants des phospholipides. »

Parmi ces AGS, le sous-groupe des acides palmitique (C16), myristique (C14) et laurique (C12) est considéré comme hypercholestérolémiant et athérogène en cas d’excès [4]. « Sur la base d’études d’observation et non d’intervention formelles, l’Agence établit pour ce sous-groupe un apport maximal de 8 % de l’AE », conclut le rapport. « La consommation d’acide stéarique [C18] à hauteur de 2-3 % de l’AE n’induit aucun effet délétère », note-t-il par ailleurs, tout en ajoutant que les AGS à très longue chaîne (C20-C24) n’ont pas été associés à une augmentation du risque cardiovasculaire.

Outre leur apport alimentaire, les AGS sont synthétisés de façon endogène, à partir des sucres, d’autres glucides et de l’alcool, « en particulier dans le foie », précise le rapport de l’Anses. « L’acide palmitique est le plus activement synthétisé par l’homme, les plantes et les animaux et c’est ainsi l’AGS le plus abondant de l’alimentation, puisqu’il a une origine cumulative alimentaire – animale et végétale – et endogène, rappelle le Pr Legrand. C’est donc l’AGS dont l’accumulation est maximale dans les tissus. » Côté alimentation, il est ainsi présent dans les graisses animales, mais également dans certaines huiles et margarines. « Son seul tort semble donc d’être trop consommé, car il a des fonctions importantes comme les autres AGS. »

L’effet sur la santé d’une baisse de consommation des AGS pourrait donc dépendre du substituant utilisé et se révèle inutile, voire pire quand les substituants sont des sucres ou de l’amidon. Les études d’intervention avec une réduction des AGS sont donc difficiles à interpréter, et la substitution n’apparaît profitable qu’avec les acides gras poly insaturés en oméga 3 et les glucides complexes. « Chez les sujets ayant une maladie cardiovasculaire, une réduction de l’apport
en AGS, sans perte de poids, au bénéfice d’un apport glucidique accru, n’est donc pas favorable sur l’athérosclérose coronarienne », note donc le rapport de l’Anses.

Consomme-t-on trop d’huile de palme en France ?

Constituée pour moitié d’AGS, principalement sous forme d’acide palmitique auquel elle a donné son nom, l’huile de palme mérite-t-elle la méfiance qu’elle suscite actuellement ? Elle entre dans la composition de nombreux gâteaux, biscuits et viennoiseries industriels, de produits de chocolaterie, de confiseries, de glaces, de plats préparés, de margarines, etc. Et dans les faits, sa présence s’avère difficile à quantifier puisque l’étiquetage n’impose pas de spécifier sa présence (cf. encadré).

Si l’on se base sur les chiffres d’importation (126 000 tonnes en 2010 selon le Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt), la consommation d’huile de palme serait de 2 kg par an – soit 5,5 g/jour – et par personne dans l’Hexagone, apportant ainsi quotidiennement 2,75 g d’AGS, soit seulement 10 % des apports recommandés. « À cette quantité consommée estimée, l’huile de palme n’est pas problématique, soutient Philippe Legrand. Mais il n’est pas souhaitable d’en augmenter l’apport puisque la consommation française en AGS est déjà au-dessus des limites conseillées par l’Anses. Mais ceci est également vrai pour les autres sources d’AGS du même type, comme ceux contenus dans les charcuteries par exemple ». Notons que ces chiffres ne tiennent pas compte de son utilisation dans l’alimentation animale, ni de la réexportation et de l’importation de produits alimentaires transformés qui en contiennent, et pourraient donc être surestimés ou sous-estimés. Enfin il faut se souvenir que l’usage de l’huile de palme a résolu le problème des acides gras trans, eux clairement délétères, dans les produits alimentaires (voir article 2 du dossier).
« L’huile de palme n’est pas toxique, rappelle le Pr Legrand. Et la polémique à son sujet, qui a été très médiatisée, me semble stigmatisante, injustifiée et inutile. Il vaudrait mieux valoriser l’éducation nutritionnelle, en sensibilisant particulièrement sur la limitation des quantités alimentaires consommées. »

Reste que le manque de clarté dans les quantités d’huile de palme incorporées dans les produits favorise la polémique et n’aide pas non plus à identifier des sous-groupes de personnes qui consommeraient cette huile en trop grande quantité. En attendant le changement de législation sur l’étiquetage dans un an, seule la bonne volonté de l’industrie agroalimentaire pourra éclairer les Français sur leur consommation réelle.

Une affaire d’étiquette ?

Aujourd’hui, la mention du type d’huile végétale n’est pas obligatoire sur les étiquettes françaises.
La nature des huiles végétales incorporées dans les produits alimentaires, et leur proportion, devront être mentionnées dès le 13 décembre 2014, date de la mise en place du règlement européen concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. La mention « totalement hydrogénée » ou « partiellement hydrogénée » devra figurer selon le cas. À compter du 13 décembre 2016, la déclaration nutritionnelle deviendra obligatoire. Devront alors également être inscrits : les proportions d’acides gras saturés, mono-insaturés et polyinsaturés.
Source : Règlement n° 1169/2011 du Parlement européen.

Katia Delaval

Références

[1] Zhang J et Kesteloot H. Differences in all-cause, cardiovascular and cancer mortality between Hong Kong and Singapore: Role of nutrition. Eur J Epidemiol. 2001;17:469-77.

[2] Kabagambe EK et al. The type of oil used for cooking is associated with the risk of nonfatal acute myocardial infarction in Costa Rica. J Nutr. 2005;135:2674-9.

[3] Chen BK et al. Multi-country analysis of palm oil consumption and cardiovascular disease mortality for countries at different stages of economic development: 1980-1997. Global Health. 2011;7:45.

[4] « Actualisation des apports nutritionnels conseillés pour les acides gras – rapport d’expertise collective». Anses, mai 2011.

[5] Siri-Tarino PW et al. Metaanalysis of prospective cohort studies evaluating the association of saturated fat with cardiovascular disease. Am J Clin Nutr. 2010;91:535-46.

[6] Tunstall-Pedoe H et al. Myocardial infarction and coronary deaths in the World Health Organization MONICA Project. Registration procedures, event rates, and case-fatality rates in 38 populations from 21 countries in four continents. Circulation. 1994.90; 583-612.

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