Anorexie, boulimie : quel rôle pour les réseaux sociaux ? Les résultats du projet ANR Anamia

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Après trois ans d’étude, le projet ANR Anamia apporte un éclairage sur le rôle du web sur la diffusion des troubles du comportement alimentaire (TCA), une question qui a longtemps occupé les chercheurs issus des domaines de la nutrition, de la psychologie mais aussi de la sociologie et des cultures numériques. Antonio Casilli, sociologue à Télécom ParisTech et au centre Edgar Morin de l’EHESS, a assuré la coordination scientifique de la recherche : « Nous avons été surpris de découvrir que l’anorexie pure concerne moins de 20 % des utilisateurs de ces sites. Les troubles mixtes dominent (45%) et la boulimie est présente, surtout en France (28 %) ». Pourtant, « la moitié des utilisateurs ont un IMC considéré comme normal par l’OMS », révèle-t-il. Ces personnes « échappent au suivi clinique classique, parce que leur poids est trop important pour qu’elles soient traitées contre l’anorexie », ajoute Antonio Casilli.

En analysant les réseaux personnels de communications de centaines d’individus grâce à des logiciels de collecte de données spécifiquement conçus, les chercheurs ont mis en évidence les besoins des utilisateurs de ces réseaux : ces personnes trouvent dans les communautés web ce que le système de de santé actuel ne leur accorde pas, comme des informations personnalisées et du soutien émotionnel. Les communautés d’anorexiques et de boulimiques permettent notamment de développer des liens entre internautes et de créer « des modes de socialisation pour des populations qui se trouvaient le plus souvent marginalisées, avant l’essor du numérique », appuie Pierre-Antoine Chardel, philosophe à Télécom école de management et qui a dirigé le volet de réflexion éthique et juridique au sein de l’étude. Le rapport précise également que les membres de groupes en ligne dédiés aux troubles alimentaires refusent rarement les soins. Ils recherchent une complémentarité avec le système médical, surtout lorsque ce dernier est mal équipé pour les prendre en charge, comme dans les déserts médicaux. Plutôt que de se limiter et de critiquer les sites « pro-ana », qui font l’apologie de l’anorexie, le rapport souligne que les participants à l’étude proposent plutôt des postures critiques de mise à distance de la maladie.

« Plusieurs années seront nécessaires pour faire comprendre aux médecins et aux parents qu’il est important d’intégrer ces communautés pour “aider sans juger” », exprime Pierre-Antoine Chardel. Comprendre les effets du web sur ces modes de socialisation des patients pourrait permettre de développer des stratégies plus adaptées en matière de santé publique. « Un premier pas vers une meilleure prise en charge des troubles », conclut Paola Tubaro, chercheurs au CNRS.

Source : Communiqué, Institut Mines-Télécom

Florence Bozec

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