Comment changer les comportements alimentaires ?

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Parmi les solutions les plus prometteuses pour freiner l’évolution de ces pathologies : le changement des comportements alimentaires. Mais quels sont les leviers et les freins de ce changement ? A-t-on le droit d’imposer ces modifications aux consommateurs ?

D’après le colloque du Fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS) qui s’est tenu le 18 décembre 2012 à Paris.

Pour son second grand colloque qui s’est tenu le mardi 18 décembre 2012 à Paris, le Fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS) s’est intéressé aux leviers du changement des comportements alimentaires des consommateurs. Modification de la teneur en graisses, sucres et sel des aliments, réduction des portions, réglementation de la publicité, aménagements urbains : les pistes sont nombreuses mais peuvent soulever des questions éthiques. Parmi celles-ci : a-t-on le droit d’imposer aux consommateurs des modifications de leurs habitudes alimentaires ? Sociologues, économistes et experts en marketing se sont réunis pour tenter d’identifier les leviers permettant les changements et de répondre aux questions qu’ils soulèvent.

Des déterminants du comportement alimentaire multiples

Parce que les déterminants du comportement alimentaire sont nombreux – psychologiques, sociologiques, environnementaux… –, une approche multidisciplinaire est nécessaire pour expliquer un comportement. Pour décrire le contexte dans lequel se manifestent les comportements, Saadi Lahlou, professeur de psychologie sociale à la London School of Economics and Political Science (Angleterre) et chercheur associé à l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (Paris), a exposé la « théorie de l’installation » en précisant que les théories psychologiques ne suffisent pas à elles seules pour expliquer ou prédire les comportements : une approche socio-psychologique est indispensable pour obtenir un changement durable des attitudes de la population. L’« installation » désigne « l’organisation de l’environnement qui amène l’individu à avoir un comportement ». Elle est constituée de trois niveaux de détermination, qui guident les comportements de façon complémentaire : d’un espace physique, qui fournit des « affordances » (ici, les produits alimentaires, les équipements culinaires, etc.), d’un espace mental, où a lieu l’analyse d’une situation et permettant à l’individu de faire un choix (par exemple la sélection d’un produit entre les offres des différentes marques), et enfin d’un espace social, qui influence les représentations sur les comportements (les institutions, par exemple). Pour une meilleure efficacité, il est nécessaire d’agir sur ces trois niveaux, à des moments différents.

Éric Singler, directeur général de l’institut BVA, s’est appuyé sur les apports de l’économie comportementale et des neurosciences pour expliquer les choix et les décisions des acheteurs, notamment en grande surface. Les études réalisées avec un eye tracker (un outil qui permet de suivre le regard du consommateur) nous apprennent que le consommateur en grande surface est toujours en quête de rapidité. Son choix sur les produits s’effectue très rapidement et de manière automatique. Face à une multitude de produits, une hyperstimulation visuelle et une hyperactivité promotionnelle, le consommateur doit adapter ses décisions à ses contraintes de temps. Mais les ressources attentionnelles et cognitives de l’acheteur sont limitées et celui-ci ne sélectionne et ne traite qu’une partie des stimuli.

Émotions et habitudes influencent nos comportements

Des études de comportement menées auprès des consommateurs ont montré une différence significative entre leurs intentions et leurs décisions d’achat, comme l’illustre le changement de packaging d’un produit existant opéré par une marque de thé : en ajoutant l’information « avec antioxydants » sur l’emballage, et alors que les consommateurs indiquaient être davantage intéressés par le produit et manifestaient une intention d’achat, la marque a enregistré une diminution des ventes de 10 %. « L’introduction de la nouveauté intrigue le consommateur qui bascule alors rapidement vers un autre produit », analyse Éric Singler. Il en est de même pour une marque de margarine, qui a changé le packaging d’un produit existant suite à son nouveau positionnement santé. Si les intentions d’achat des consommateurs interrogés laissaient présager une augmentation des ventes, là encore une baisse de 10 % des ventes a été observée en magasin : «&nbspLa disparition du logo “tartine et cuisson”, pourtant non différenciant vis-à-vis de la concurrence, au détriment d’une information santé (“réduction du cholestérol”), a entraîné la perte d’une information importante pour le consommateur, qui a orienté son choix vers un autre produit », commente Éric Singler. Finalement, la communication prônant les bénéfices d’une bonne alimentation ou les informations nutritionnelles ne déterminent pas à elles seules les comportements d’achats des consommateurs. « Pour Dan Ariely, professeur de psychologie et d’économie comportementale israélo-américain, nous sommes des êtres systématiquement irrationnels », explique-t-il. D’autres facteurs entrent ainsi en jeu, notamment les émotions ressenties lors de la vision du produit ou encore les habitudes ancrées des acheteurs. « Selon Charles Duhigg, journaliste au New York Times, nous sommes des êtres d’habitudes : 45 % de nos décisions quotidiennes sont générées par nos habitudes&nbsp», cite le directeur de BVA. Des notions qui tentent d’expliquer l’effet limité voire l’échec des campagnes de communication qui visent à modifier les comportements en se basant sur des discours « rationnels », cherchant à persuader les consommateurs du « bon comportement » à adopter. En se trompant dans la compréhension des facteurs qui orientent les attitudes, les arguments employés pour convaincre ne portent pas. Alors pour orienter les choix, Éric Singler propose par exemple de « combattre les habitudes négatives et de casser la routine des consommateurs dans un but positif pour eux. » Il évoque également l’idée de « nudge », ou incitation comportementale, décrite par l’économiste américain Richard H. Thaler. Ces incitations favoriseraient les comportements vertueux en se basant sur les processus de décision révélés par l’économie comportementale et les neurosciences. Le tout en gardant la notion de « simplicité » et en laissant les individus libres de leurs choix.

L’impact du design des emballages alimentaires

Parmi les méthodes employées en marketing alimentaire, plusieurs procédés : des interventions visibles, comme proposer des prix avantageux ou des promotions, mais aussi via des actions plus discrètes, comme l’affichage d’allégations santé. « Les recherches sur Internet concernant le thème “good food” sont en recrudescence, et aux États-Unis comme en France, la consommation de produits allégés a augmenté », déclare Pierre Chandon, professeur et directeur du centre de recherche en sciences sociales de l’INSEAD (Fontainebleau, Singapour). Mais si ces « indices contextuels suggérant que l’aliment est “bon pour la santé” » engendrent un engouement des consommateurs, ils créent également des « effets de halo », ou des biais de perception. Par exemple, le consommateur pourra supposer inconsciemment et à tort que le produit présente une diminution de calories, entraînant une surconsommation (en particulier des femmes) et une surcompensation sur des boissons et des desserts sucrés. Il en est de même des tailles de portions : les études réalisées par Pierre Chandon et Brian Wansink, de l’université Cornell (États-Unis), ont montré que face à différentes tailles de repas de restauration rapide, les consommateurs (indépendamment de leurs IMC) sous-estiment le nombre de calories des grands repas (par rapport aux petits repas, pour lesquels les calories perçues sont proches de la réalité). D’autres recherches ont montré que ces biais d’estimation influent sur la taille des portions choisies : la forte augmentation de la taille des emballages et des portions, que ce soit au restaurant ou en magasin, a pour effet d’augmenter les quantités et donc la consommation. Or, à volume constant, si la taille de l’emballage est réduite, la perception de la densité calorique et la consommation diminuent, et les consommateurs estiment être davantage rassasiés.« L’étiquetage nutritionnel a tout son intérêt pour informer les consommateurs sur la qualité des produits qu’ils achètent, explique Pierre Chandon. Mais il faut également inciter les acheteurs à avoir un regard critique sur les allégations, et les encourager à davantage prendre en compte les quantités, pas seulement la qualité. Peu nombreux sont ceux qui lisent systématiquement les informations sur la quantité. »Comment encourager les consommateurs à opter pour de meilleurs comportements pour leur santé mais aussi inciter les professionnels à mettre en œuvre des actions dans ce sens ? Pierre Combris, économiste et directeur de recherche à l’Inra, a évoqué l’étiquetage numérique, qui peut être exhaustif quant aux informations données aux consommateurs, contrairement à l’étiquetage sur une bouteille, par exemple, qui ne peut contenir toutes les données. Mais pour inciter davantage les consommateurs à aller dans ce sens, l’économiste encourage les industriels à agir ensemble au même moment (par exemple en ce qui concerne les réductions des taux de sel) : « Si un seul industriel effectue un changement, le risque est de voir les consommateurs s’orienter vers la concurrence. »

Comment rendre les messages de santé publique plus efficaces ?

Résistance au changement, diversité culturelle et diversité des représentations, faible transmission des savoir-faire : face à l’immobilisme des comportements et devant le constat de l’échec du « modèle naïf », qui consiste à croire que la simple connaissance suffit à induire un changement, Sandrine Raffin, présidente de l’agence LinkUp conseil & communication et co-fondatrice du programme de prévention de l’obésité infantile Epode, souligne les apports du marketing social pour comprendre les motivations des consommateurs et ainsi tenter de rendre les messages de santé publique plus efficaces. Défini comme « l’application de technologies de marketing élaborées dans le secteur commercial pour résoudre des problèmes sociaux où le résultat est la modification du comportement », le marketing social est peu développé en France, par rapport aux pays anglo-saxons. L’application de la méthode des « 5P » : produit, prix, place, promotion, partenariat, par la méthode du « marketing mix », et la définition du public cible permettent d’identifier les stratégies d’intervention à élaborer pour influencer les comportements. Sandrine Raffin identifie huit facteurs clés pour optimiser l’efficacité des interventions de santé publique :

  • donner un seul message à la fois, qui résonne chez le consommateur et qui ne soit pas un objectif. Par exemple, au lieu de demander de « manger cinq fruits et légumes par jour », qui est l’objectif à atteindre pour la population, la présidente de l’agence LinkUp suggère une communication ciblée sur chaque groupe d’aliments séparément. Pour les fruits par exemple, elle conseille d’axer le message sur leur aspect gourmand pour davantage d’impact ;
  • utiliser des leviers positifs, en renforçant le sentiment d’efficacité et en évitant la culpabilisation du public cible par une maximisation des conséquences (par exemple via les messages « Fumer tue », qui au lieu de provoquer l’adhésion des fumeurs, suscite un sentiment de résistance de leur part). « Il faut jouer sur l’identification du public visé, qu’il se sente acteur du changement », explique Sandrine Raffin ;
  • créer de « nouvelles routines de vie », pour installer de nouvelles habitudes, avec une stratégie des « petits pas », en fixant des projets à moyen et long termes ;
  • intégrer des « coups de pouce », ou « nudges », notamment en agissant sur l’environnement et au sein de la niche écologique où vit la famille ;
  • recruter et déployer des ambassadeurs, afin de mobiliser et de s’appuyer sur des relais pérennes dans les environnements de vie ;
  • développer des approches intégrées et communautaires et mettre en place des stratégies multi-acteurs afin d’obtenir une contribution de l’ensemble des acteurs et une adéquation au public visé ;
  • capitaliser sur une marque « fil rouge », synonyme de valeurs et porteuse de sens ;
  • évaluer, à plusieurs niveaux, à l’aide de marqueurs définis, les résistances rencontrées pour qu’elles soient sources de progrès et d’ajustement.

Orienter les comportements des consommateurs vers des attitudes « bonnes » pour leur santé est donc un travail sur le long terme qui implique de nombreux acteurs différents. Comprendre les mécanismes sous-jacents des comportements est indispensable et nécessite l’utilisation d’outils variés issus de diverses disciplines (neurosciences, marketing, économie, psychologie, sociologie…) ainsi qu’une expérimentation en situation réelle afin d’évaluer et d’ajuster les effets des leviers actionnés.

Florence Bozec

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