Allergie : de l’“épidémie” aux nouvelles pratiques thérapeutiques

Cette même période a également vu apparaître de nouvelles pratiques thérapeutiques. Grâce à l’induction orale de tolérance, un véritable espoir thérapeutique est né pour tous les patients allergiques. Retour sur 20 ans d’allergologie.

En France, entre 2011 et 2012, le nombre de chocs anaphylactiques par allergie alimentaire (AA) a augmenté de 19 %. Entre 2001 et 2006, il avait déjà bondi de 28 %. Sur les dix dernières années, l’anaphylaxie alimentaire aurait crû de 350 %, et 230 % pour l’anaphylaxie non alimentaire. Une déferlante de chiffres qui fait froid dans le dos .« Mais attention, rassure Stéphane Guez de l’unité des maladies allergiques du CHU de Bordeaux, lorsque l’on regarde dans le détail, il n’y a pas eu de variation du taux de mortalité par AA mais seulement une augmentation du nombre d’admissions pour suspicion ! » Dans son rapport daté de 2002 [2], l’Afssa avançait plusieurs hypothèses pour expliquer ces chiffres alarmistes : la vigilance accrue des professionnels de santé à l’égard de l’AA entraînant un diagnostic plus fréquent, mais aussi une modification de nos comportements et de notre environnement (exposition précoce du nourrisson à une grande variété d’allergènes, sensibilisation au cours de la grossesse). Enfin, certains pointent du doigt les aliments manufacturés qui pourraient gagner en allergénicité au cours de leur transformation industrielle. Pour l’heure, la prévalence de l’AA s’élève à 5 % pour les jeunes enfants et à 2 % pour les adultes.

Quels aliments incriminer ?

En 2012, le réseau d’allergovigilance a recensé 72 cas d’anaphylaxie alimentaire sévère en France. Le trio de tête des allergènes incriminés chez les enfants comportait l’arachide (24 %), les fruits à coque (22 %) et les protéines de lait de vache (22 %). Suivaient l’oeuf, le blé et les légumineuses, qui représentaient respectivement 10, 8 et 7 % des cas [3]. Chez les adultes, les sources d’origine végétale seraient les plus souvent mises en cause : les rosacées (27 %), les fruits du groupe latex (23 %), les ombellifères (18 %), les fruits à coque (16 %) et les céréales (14 %) [4].
En outre, ces allergènes présentent des profils plus ou moins virulents puisque « si l’on regarde la répartition des allergènes ayant provoqué une manifestation sévère, répertoriée au sein du réseau d’allergovigilance*, cinq souches allergéniques causent 86 % des réactions enregistrées », explique Anne Tsicopoulos, du centre d’infection et d’immunité de Lille. Parmi ces souches allergéniques, la moitié est représentée à part égale par les fruits à coque et par l’arachide. Viennent ensuite les protéines du lait, les crustacés et les légumineuses.

Qu’est-ce qu’une réaction sévère ?

Dans l’AA, la réaction allergique se manifeste rapidement dans les 5 à 60 minutes, avec un maximum de 4 heures. Les symptômes peuvent être digestifs (syndrome oral d’allergie, diarrhées, crampes, etc.), cutanés (eczéma, prurit, rash, etc.), et/ou respiratoires (sifflements, gêne, toux, rhinite, etc.).
« Chez le nourrisson, les premiers signes allergiques se développent sous forme de dermatite atopique, précise Anne Tsicopoulos. Selon les cas, ils pourront être remplacés secondairement par une rhinite allergique ou un asthme allergique ». Avec l’âge, ces manifestations cliniques peuvent même évoluer vers le choc anaphylactique, qui représente 40 % des réactions sévères chez les adultes (contre seulement 16 % chez les enfants). Celui-ci se définit par l’atteinte d’au moins deux organes (poumons et coeur par exemple). Il s’agit alors d’une urgence qui justifie l’injection rapide d’adrénaline. « Il a été prouvé que la voie intramusculaire permettait une action plus rapide de l’adrénaline, souligne Martine Morisset, allergologue au centre hospitalier de Luxembourg. Je conseille à mes patients de piquer directement la cuisse, à l’endroit où la couche de graisse est la plus fine ». Moins connus mais tout aussi redoutables, l’asthme aigu grave et l’angio-oedème laryngé font également partie des manifestations les plus graves.

Dépister et veiller aux signes de gravité

Afin d’éviter ces situations à haut risque, il faut établir un diagnostic précis du paysage des allergies du patient. Et ce, d’autant plus que le patient présente des facteurs de risque associés, comme un asthme ou d’autres états pathologiques favorisant la gravité de l’allergie (mastocytose ou l’hypovitaminose D). « L’association de l’AA et de l’asthme est un marqueur de sévérité important. Il faut veiller de près à ce que l’asthme soit parfaitement maîtrisé », explique Stéphane Guez. En outre, il existe des périodes de la vie où l’on est plus à risque : « Les jeunes adultes et les adolescents sont à risque élevé car 60 % d’entre eux présentent des conduites à risque, explique le Dr Pham Thi, pédiatre allergologue à l’hôpital Necker Enfants malades à Paris. Une étude réalisée auprès d’étudiants allergiques a révélé que 54 % d’entre eux avaient déjà testé, heureusement sans réaction, une petite quantité d’allergènes ‘ juste comme ça, pour voir’… », révèle le Dr Pham-Thi.

Quels sont les outils disponibles ?

Les outils diagnostiques se composent en premier lieu de l’enquête alimentaire. Viennent ensuite les tests cutanés, sanguins et le test de provocation par voie orale (TPO) qui permettra de trancher entre une simple sensibilisation d’une authentique AA (cf. encadré 1). « Le TPO permettra par ailleurs d’évaluer précisément le seuil réactogène du patient », indique le Pr Gisèle Kanny, du service de médecine interne, immunologie clinique et allergologie, du CHU de Vandoeuvre-Les- Nancy.

Pourquoi réagit-on ?
L’AA correspond à une perte (ou à une absence d’acquisition) de la tolérance immunologique à un allergène alimentaire. Concrètement, les épitopes exposés à la surface des protéines alimentaires sont identifiés comme indésirables à l’intérieur de l’organisme. Celui-ci réagit alors par la production d’IgE spécifiques, l’activation d’éosinophiles ou encore par une inflammation impliquant les cellules T. La réponse ne passe pas obligatoirement par la production d’IgE. Pour les réactions non immunologiques, on parle d’intolérance alimentaire. Le diagnostic de l’AA repose sur un panel de tests standardisés parmi lesquels se trouvent le dosage sanguin d’IgE ainsi que le test de provocation orale. Les causes de l’allergie sont principalement génétiques : près de 80 % des cas surviennent chez des patients au terrain familial atopique.

Une fois le diagnostic finement posé, c’est le régime d’éviction qui commence. Il permet d’éliminer a priori tout contact avec l’allergène, mais ne protège pas de l’ingestion accidentelle. Autre inconvénient majeur du régime d’éviction : il pourrait contribuer à augmenter la sensibilisation de l’enfant à l’allergène, faisant craindre une réaction encore plus importante en cas de nouveau contact avec l’allergène [3]. On sait par ailleurs qu’il existe, chez certains individus, une guérison naturelle de la maladie, mais celle-ci s’étend sur plusieurs années si bien que des chercheurs ont été tentés d’accélérer le processus grâce à des protocoles d’induction de tolérance. Un succès. « Nous pratiquons des programmes d’induction de tolérance depuis une vingtaine d’années à Nancy, explique Gisèle Kanny. Ils sont désormais très courants pour l’oeuf, le lait et le blé. Nous avons été plus prudents avec l’arachide, qui est considérée comme une allergie à haut risque, mais les protocoles sont désormais mis en place. » Le protocole d’induction de tolérance s’adresse à tous les patients désireux d’en finir avec leur AA. Après avoir posé finement le diagnostic de l’allergie, un protocole précis est établi. Il peut être réalisé à la maison et s’échelonne sur une période de trois à six mois : « Pour les grands allergiques qui réagissent à des doses de l’ordre du microgramme, nous sommes obligés d’aller encore plus lentement », précise le médecin. Les doses d’allergènes –extraits des aliments natifs– ingérés quotidiennement augmentent très progressivement, jusqu’à atteindre une quantité qualifiée d’« habituelle » dans un régime normal. « Le problème est qu’il existe des aliments facilement manipulables comme le lait ou l’oeuf mais lorsque les patients sont allergiques à des très petites quantités, la manipulation devient beaucoup plus délicate », nuance le médecin. En outre, il est important que le patient continue de consommer l’aliment à la suite du protocole afin que cette tolérance ne soit pas déséquilibrée. Mais au final le résultat est là : « Le protocole intégral a un très fort taux de réussite, indique le Pr Kanny. Dans 95 % des cas, on obtient une désensibilisation complète, le patient peut donc reprendre une alimentation normale ». Pour les 5 % restants, la désensibilisation sera partielle, lui permettant d'éviter une réaction lors de l'ingestion accidentelle de traces.

 

L’asthme chez l’enfant La prévalence de l’asthme chez l’enfant est particulièrement élevée puisqu’elle représente la maladie chronique la plus fréquente dans cette classe d’âge. Des études françaises montrent que chez le pré-adolescent et chez l’adolescent, elle atteint 9 % environ ; 10-11% pour les 5-6 ans. L’asthme chez l’enfant apparaît en général avant l’âge de 5 ans. Actuellement, la mortalité reste encore relativement stable mais on note environ 60 décès d’enfants par an liés à l’asthme. Quatre-vingts pour cent des asthmes de l’enfant sont allergiques, ce qui nécessite la réalisation d’un bilan allergologique systématique.

Accompagner le patient

Par ailleurs, « il ne faut pas oublier que le diagnostic d’AA sous-entend implicitement la notion de gravité, souligne Stéphane Guez. Celle-ci n’est pas sans danger pour le bien-être psychique de l’enfant et de ses parents (altération de la qualité de vie, génération de stress et d'anxiété, diminution de la prise d’indépendance de l’enfant, restriction de son développement affectif et sportif) ». La prise en charge de l’allergie doit donc être particulièrement adaptée et établie par une équipe pluridisciplinaire (allergologue, diététicien, psychiatre, pédiatre, etc.) rompue à toutes les dimensions de l’allergie et formée spécifiquement aux pratiques avancées en allergologie. « On sait aujourd’hui que les patients atteints d’AA souffrent davantage de l’angoisse qu’elle génère que de la maladie elle même. L’impact psychologique de l’AA sur la vie du patient est extrêmement important, notamment pour les personnes qui ont connu l’urgence allergique, et ont eu l’impression de mourir. On peut comprendre leur appréhension », conclut Gisèle Kanny.

Violaine Colmet Daâge

* Le réseau d’allergovigilance mis en place sur tout le territoire français a colligé, sur la période 2002-2011, 1 092 observations d’allergies sévères alimentaires.

Réferences

  1. Rancé, G. Dutau. Rev Fr Allergol Immunol Clin 2008, 48 : S16-S18.
  2. Afssa. Allergies alimentaires : état des lieux et propositions d’orientation. Janvier 2002.
  3. Moneret-Vautrin DA. Revue française d’allergologie et d’immunologie clinique 2008;48:20-5.
  4. Schlienger JL. Nutrition clinique et pratique. Éditions Elsevier Masson, 2011.

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